Le respect des droits numériques dans le contexte de la COVID 19 au Cameroun
Le respect des droits numériques dans le contexte de la COVID 19 au Cameroun
RESUME
Dans le contexte créé par la COVID 19, PROTEGE QV a conduit avec l’appui de la Coalition AFDEC une recherche sur le respect des droits digitaux des citoyens au Cameroun, lors de l’implémentation des initiatives d’ e-learning, d’e-gouvernance et de télétravail. La méthodologie adoptée a utilisé six des treize principes clés de la Déclaration Africaine des Droits et des Libertés de l’Internet comme grille d’analyse. Il s’agit de : Accès et accessibilité à l’internet, Droit à l’information, Diversité culturelle et linguistique, Droit au développement et accès au savoir, Sécurité, stabilité et résilience de l’internet, Egalité entre les hommes et les femmes.
Six initiatives ont été analysées en : (i) E-LEARNING : les enseignements en ligne de l'Université de Ngaoundere et de l'Université Protestante d'Afrique Centrale (UPAC) pour le niveau d’enseignement supérieur, l’initiative « L’école à la télé » organisée par le Gouvernement pour les élèves du primaire et du secondaire ; (ii) E-GOVERNANCE : la campagne de communication gouvernementale (sms, réseaux sociaux) pour sensibiliser sur la prévention du COVID19, la plate-forme COVID19.CM mise en place par l’association SMART Click Africa[2] pour informer en ligne sur la pandémie ; (iii) TELEWORKING mis en place par les Brasseries du Cameroun (acteur industriel privé) pour assurer la continuité de l'activité.
Bien que la mise en œuvre de différentes initiatives analysées ait renforcé le respect des mesures de confinement, l’analyse au regard des principes clés a révélé ce qui suit.
Accès et accessibilité à internetLe faible taux de pénétration de l’internet (entre 30 et 35% en fonction des sources) ainsi que son inégale sur l’ensemble du territoire ne permettent pas aux populations des zones rurales mal desservies de bénéficier des opportunités offertes. De plus, La fermeture de certains espaces publics (cybercafés), souvent seul espace possible de connexion pour plusieurs, a poussé encore plus de personnes hors ligne.
L’abordabilité aux services est mise en cause car il faut posséder un téléphone intelligent, une tablette ou un ordinateur (équipements onéreux) pour se connecter. De plus, malgré les efforts des différents opérateurs à baisser les tarifs, la dépense supplémentaire n’est pas à la portée de tous, surtout dans un contexte où plusieurs travailleurs ont été mis en congé technique.
Concernant « l’école à la télé », du fait du taux relativement faible de pénétration du téléviseur en zone rurale (moins de 35% en 2017) et de la couverture incomplète du territoire par le signal de la Cameroon Radio Television (CRTV)[3] , peu d’élèves en zone rurale y ont eu accès.
Au vu de la télédensité mobile du Cameroun, on peut se réjouir du fait que plus de 16 millions de personnes reçoivent les messages de la campagne gouvernementale de sensibilisation par SMS. Toutefois, en prenant en compte la proportion régionale d’abonnés au mobile, il apparaît clairement que les populations de certaines régions seront insuffisamment desservies par les messages transmis.
Droit à l’informationLes usagers qui reçoivent les SMS envoyés par le Gouvernement y ont accès gratuitement et sans souscription particulière. Malheureusement, la communication unilatérale ne permet pas au récepteur d’obtenir des réponses aux questions qu’il se pose dans un contexte de pandémie incitant facilement à la panique. Quant aux messages délivrés sur les réseaux sociaux et par la plate-forme COVID19.CM, des inquiétudes ont été soulevées ici et là sur la rétention de certaines informations ou même la véracité de celles publiées notamment sur les ressources allouées à la lutte contre le COVID 19 et leur répartition.
Diversité culturelle et linguistiqueLe Cameroun est un pays multiethnique avec deux langues officielles, le français et l’anglais, et une pléthore de langues véhiculaires, voire vernaculaires. Alors que la plate-forme COVID19.CM diffuse des messages audio de sensibilisation en plusieurs langues locales, l’on peut déplorer que la campagne gouvernementale soit uniquement en français pour les sms et dans les deux langues officielles pour les tweets. Ceci exclue ainsi de la cible un bon nombre de personnes âgées ou non alphabétisées.
Droit au développement et accès au savoirLes cours d’informatique et de maîtrise de l’information font partie intégrante du curriculum de formation dans toutes les facultés. Toutefois l’accès au savoir a été entravé d’une part, par des enseignants qui n’ont pas pu dispenser leurs cours en ligne à cause de lacunes dans l’utilisation des TICs, et d’autre part du fait de l’absence de bibliothèques virtuelles dans les Universités camerounaises. Concernant l’initiative « l’école à la télé » destinée aux élèves des cycles primaire et secondaire, il est difficile de garantir l’assiduité des jeunes élèves qui seront distraits par l’environnement familial.
Sécurité, stabilité et résilience de l’internetSuite à un incident sur les câbles WACS et SAT3 en mer depuis le mois de janvier, des perturbations du service Internet ont été obsrvées au Cameroun. Cette pandémie a occasionné une utilisation accrue du numérique et une augmentation de cyberrisques. Malgré les efforts du gouvernement et des opérateurs pour renforcer la sécurité du réseau, on a constaté plusieurs activités malveillantes telles que des attaques par hameçonnage pour exfiltrer des données sensibles (notamment bancaires), ou par chantage par le biais de logiciels rançonware. Sollicité par un télétravail massif et à un visionnage de streaming important, le réseau Internet a présenté une instabilité pendant la période sous revue, et des cas de congestions localisées et de saturations partielles ont été observés. D’après les premières données fournies par l’application NPerf, les réseaux mobiles et fixes ont été affectés par l’augmentation du trafic. La période du Covid-19 a été impactée par la montée des fake news sur la pandémie et sur la situation politique du pays dans les réseaux sociaux, poussant les autorités à initier des actions contre certains utilisateurs d’Internet.
Egalité entre les hommes et les femmesEn plus de la fracture numérique entre les sexes (36% des femmes contre 45% des hommes)[4], dans le contexte de confinement, les jeunes élèves et étudiantes retournées dans les concessions familiales feront certainement face, du fait des coutumes, à d’autres responsabilités à assumer au sein des familles, et qui seraient susceptibles d’entraver leur assiduité aux cours en ligne. La situation est la même pour le télétravail où la nécessité de s’occuper des enfants, surtout par ces temps d’interruption des cours du niveau primaire, sera couplée à des obligations ménagères, et risquent d’entraver sérieusement la qualité du travail des femmes à domicile, quel que soit le secteur professionnel.
Quelques recommandationsAu Gouvernement :
- Améliorer l’accès à internet au plus grand nombre en assurant l’extension des infrastructures, relançant le programme Télécentres Communautaires Polyvalents et promouvant les réseaux communautaires ;
- Construire et aménager dans les établissements scolaires, des centres multimédias équipés en vue de faciliter l’accès à internet aussi bien aux élèves/étudiants qu’aux enseignants ;
- Pratiquer des exonérations fiscales/douanières sur les équipements de communications électroniques tels les téléviseurs, les ordinateurs, les téléphones, mais aussi les outils logiciels afin de réduire les coûts d’accès.
Aux collectivités locales :
- Promouvoir l’utilisation des langues vernaculaires dans la communication avec les populations et mener le plaidoyer auprès du Gouvernement pour acquérir la responsabilité du développement des réseaux communautaires et la gestion des Télécentres Communautaires Polyvalents.
Aux établissements d’enseignement secondaire et universitaire :
- offrir un accès internet gratuit aux plates-formes d’enseignement et renforcer les capacités des enseignants sur l’utilisation des outils numériques et l’enseignement à distance ;
Aux organisations la société civile :
- Conduire le plaidoyer d’une part pour que l'accès à internet devienne une priorité pour le gouvernement et mener des campagnes de sensibilisation sur l’existence et la nécessité du respect des droits humains en ligne ;
Aux opérateurs des télécommunications :
- Prendre des mesures pour élargir la connectivité, notamment la mise en place de points d’accès publics au Wi-Fi et prendre des mesures visant à réduire le prix de la connexion à internet ; Fournir aux populations un Internet de qualité par respect aux usagers qui paient pour ce service ;
[1] https://www.africaninternetrights.org
[2] L’Association Smart Click Africa se veut un cadre de réflexion, d’échanges, de collaboration, de coopération et de solidarité pour faire des pays africains des pôles d’excellence dans la transformation digitale (https://smartclickafrica.org/)
[3] En 2014, les signaux de la CRTV télé couvraient près de 60 % du territoire national.
[4] Un rapport de 2015 de la Web Foundation a révélé qu'au Cameroun seulement 36% des femmes contre 45% des hommes étaient des internautes (https://cipesa.org/2019/09/overview-of-cameroons-digital-landscape/ )
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